Il y a quelques mois de cela, nous nous sommes entretenus avec Baptiste Clipffel, éducateur spécialisé, pour en apprendre sur son rôle et son engagement au sein du foyer de l’Étoile, un centre d’hébergement pour les requérants d’asile mineurs non accompagnés, dans lequel une partie de nos participants vivent. Cet entretien nous a permis de mettre en lumière son ressenti en tant qu’éducateur, son implication avec les organisations extérieures, ainsi que son rôle auprès des jeunes.

Initiation au foyer de l’étoile, lieu de travail de Baptiste et lieu de vie de 155 jeunes,

Salut Baptiste! Est-ce que tu pourrais commencer par te présenter et nous dire comment t’en es arrivé à travailler au foyer de l’Étoile?

« Je m’appelle Baptiste, je suis éducateur spécialisé. J’ai fait mes études en Belgique à la haute école pendant 3 ans. J’ai ensuite travaillé avec des requérants d’asile mineurs non-accompagnés (RMNA) en France et en Belgique. J’avais fait plusieurs stages avec ces groupes là aussi, c’est vraiment le public avec lequel je me sens le plus à l’aise. Je me retrouve maintenant à Genève de nouveau avec des RMNA, et je m’épanouis à fond au CHC de l’étoile. »

Est-ce que tu retrouvais des dynamiques similaires dans les différents centres ?

« Ouais, après les modes de fonctionnement sont un peu différents que ce soit en France, en Belgique, ou ici en Suisse. Je m’y retrouve à fond en Suisse, j’arrive dans une dynamique où il y a d’avantage de moyens pour prendre en charge ces enfants. Même si c’est jamais idéal, ni ce qu’on voudrait en tant qu’éducateur ! Mais il y a des moyens et une direction qui supporte, c’est hyper cool. »

Au foyer de l’Étoile il n’y a que des mineurs ?

« Il y a mineurs et majeurs mais les éducateurs s’occupent uniquement des mineurs. Les jeunes qui basculent vers 18 ans sont ensuite pris en charge par des assistant.es sociaux de l’hospice générale. Du coup nous on s’occupe uniquement des mineurs, on a un certain nombre de suivis et on est une équipe de 28 éducateurs. On est chacun référent de plusieurs jeunes, en général 4. »

Comment fonctionne l’organisation dans le foyer ?

« Il n’y a pas de différenciation entre un travail administratif et d’éducateur. Quand on accueille des personnes arrivantes, on a énormément de démarches administratives à faire. Il faut savoir que quand un ou une jeune arrive sur le territoire Suisse, iel est d’abord pris en charge dans un centre de tri, et ensuite iels sont affecté.es dans un canton et afin attribué.es à un foyer. Pour les mineurs qui sont attribués à Genève, c’est très souvent à l’Étoile.

Du coup, beaucoup d’admin au début, pas mal de démarches pour récupérer leur permis de séjour, faire les inscriptions à l’école, faire la rencontre avec le responsable légal, … Chaque situation est spécifique mais des fois on doit aussi contacter des avocats pour faire des procédures de recours. Il y a une décision qui est prise en amont du statut de réfugié par le secrétariat d’État à la migration (SEM), la plupart du temps pour nos jeunes c’est un statut F provisoire qui octroie l’asile sur 5 ans. Chaque année iels doivent justifier d’une bonne intégration, qu’iels apprennent bien le français, engagé.es dans leur scolarité et formation. Ou alors, en fonction de leur parcours et de ce que les jeunes ont vécu dans leur pays, iels peuvent bénéficier d’un permis B en statut de réfugié et donc plus d’avantages financiers, etc. »

Comment est-ce que le centre de l’Étoile est-il organisé?

« Tous les jeunes ont une chambre, en fonction de l’espace qu’on a et de leur niveau psychologique on évalue si c’est mieux de les mettre en chambre seule ou double. On essaie de privilégier qu’iels soient tous en chambre seule mais parfois ce n’est pas possible. On est une équipe de 20 éducateurs, on est là au quotidien – matins et/ou après-midis. On a une secrétaire sociale qui s’occupe de gérer les rendez-vous et de les accompagner (école, médecin, visite de la ville,…). On a des intervenant.es de nuit aussi. On a des responsables qui sont là pour les décisions, qui sont d’ailleurs super soutenant à l’étoile. Iels demandent régulièrement si on a besoin d’éducateurs en plus, de moyens, … »

Et toi comment te sens tu par rapport aux conditions de travail?

« Je peux te répondre avec le comparatif France/Belgique, ici en Suisse je me sens hyper soutenu par ma direction qui prend le temps de discuter avec chacun des collaborateurs pour voir comment iels se sentent. Quand on a des évènements traumatisants, on a systématiquement un suivi psy. Les horaires sont hyper respectueux des collaborateurs, typiquement on ne fait pas de nuits. On a un horaire dédié à l’administratif. Franchement on est respecté, c’est cool! »

Est-ce qu’il y a souvent des associations qui passent ? Comment c’est organisé avec ces différentes organisations extérieures ? Et comment c’est appréhendé par les jeunes ?

« Pour tout ce qui est partenariats et réseaux activités, c’est emmené un peu par chaque éducateur. On a la chance d’être une grosse équipe et on a tous des centres d’intérêts différents alors ça fait des partenariats assez diversifiés avec des activités qui sont cohérentes pour les jeunes aussi, c’est important. Personnellement je suis hyper attaché à ça, alors je suis sur 3 projets en ce moment. 

Il y a ce partenariat avec Rookie Slash que j’ai repris et que je trouve incroyable. Je fais du skate aussi alors voir les jeunes sur des planches ça fait hyper plaisir. Je suis aussi en train de monter un partenariat avec une association qui fait du graffiti, pour pouvoir emmener ce côté artistique. Aussi, le rappeur Slimka est venu pour rencontrer les jeunes qui s’intéressent à la musique, le but c’est de le faire passer au foyer avec les jeunes qu’il connaît déjà un peu. Des éducateurs ont réussi à avoir un partenariat avec l’équipe de Dub Inc et qui ont pu obtenir des places pour leur concert à Genève et des accès backstage pour les jeunes. Il y a pleins de dynamiques qui se mettent en place, c’est cool ! »

Est-ce que tu pourrais nous parler de ton expérience avec Rookie Slash?

« Moi j’ai vraiment kiffé. Au début c’était pas évident de reprendre le projet de Sabrina, le temps de prendre mes marques et de voir avec qui je devais communiquer. Du côté de l’organisation ce n’était pas évident non plus au début. Par exemple, nous l’équipe on trouvait ça super cohérent de faire venir le skatepark directement dans le foyer. Parfois c’est plus évident de mettre les choses sous le nez des jeunes plutôt que de les emmener à l’extérieur. Mais on a dû se battre un peu avec la sécurité pour faire ça pour une question de normes, au final ça a marché et vous êtes venus 2 fois. Du coup pleins de jeunes ont adhéré et participent aujourd’hui au cours sans avoir manifesté d’envie particulière pour le skate au préalable. Je trouve ça hyper chouette de pouvoir leur donner ça. Ceux qui viennent aux cours régulièrement me montrent tous les jours des photos – ils sont hyper fiers d’être sur le instagram de Rookie Slash aussi. On ressent leur enthousiasme pour les activités. Ça apporte aussi de la vie dans le foyer ! »

Camp d’Hiver avec les Rookie ! Des éducateur-ice-s du Foyer de l’Étoile étaient là pour aider à encadrer la semaine (Baptiste au pull vert et bonnet rose à droite, merci à toi !).

On va changer un peu de perspective, est-ce que des fois les jeunes viennent avec des requêtes particulières ou partagent des choses qui leurs déplaisent ?

« Ouais, il y a énormément de demandes, après c’est propre à chaque jeune. Les soucis qui reviennent le plus souvent c’est la communication, la plupart c’est des jeunes qui ne parlent ni français ni anglais. On doit passer par des interprètes, et c’est dur d’en avoir directement. Ça crée des démarches qui s’éternisent. Quand un jeune a un souci de santé, iel en parle au début et le temps de prendre les rendez-vous et s’organiser avec l’école et les interprètes ça peut vite prendre deux semaines avant que le jeune ait un rendez-vous. »

A quel moment un jeune peut-il quitter le foyer ?

« En théorie le parcours type : iel arrive mineur et sera suivi jusqu’à ses 18 ans + 3 mois. Ensuite iel sera basculé dans le bâtiment pour les majeurs où on a 2 assistantes qui gèrent le terrain. Leur travail à elles c’est de les reloger dans des lieux adaptés à leur situation : dans un foyer de majeur, en appartement autonome, dans des résidences étudiantes où là y a encore des équipes d’assistants sociaux qui seront là pour les gérer cas par cas. Donc ça c’est le parcours type. Après, en fonction des places disponibles et de la situation des jeunes, on essaie de les basculer sur les nouveaux foyers de la FOJ qui ont ouvert là où ils sont suivis plus individuellement – avec un suivi plus personnalisé. »

Est-ce qu’il y a d’autres centres qui sont voués à ouvrir ?

« On espère, on attend des réponses – pour le moment il n’y a rien d’acté. L’étoile est vouée à fermer ses portes. Ça a été retardé à cause du covid, c’est pour ça que d’autre centres ont d’ailleurs ouvert. Mais le fait est que de plus en plus de jeunes arrivent et il n’y a pas assez de place ailleurs. Alors y a beaucoup de questions avec peu de réponses sur la fermeture de l’étoile. Au dernière nouvelle, c’est prévu pour juin 2023, mais on n’y croit pas trop. On ne peut pas reloger les 86 mineures qui sont là actuellement en plus des 3-4 qui arrivent toutes les semaines. »

Est-ce qu’il y a un tournus ? Autant de personnes qui entrent et qui sortent ?

« Il y en a d’avantage qui entrent. Après ça dépend toujours des vagues migratoires, mais en ce moment il y en a plus qui rentrent. Aussi, pour les sorties c’est plus long qu’une arrivée qui est plus spontanée. »

Ça ne pose pas de problèmes par rapport aux logements au centre ?

« Il y a assez de place pour le moment, comme on a réussi à reloger 32 jeunes d’un coup dans ces nouveaux centres. Mais ça se remplit vite, là on doit mettre le plus de jeunes en chambre double – ce qui n’est pas toujours possible ni l’idéal. Donc c’est pas évident à ce niveau là. »

Cette interview a été réalisée en Novembre 2022. Depuis cette date, le foyer s’est rempli et à atteint son seuil de saturation, qui est de 155 résidents (soit presque le double du nombre de résidents au moment de l’interview). Egalement, l’échéance de la fermeture des portes du centre à de nouveau été repoussée, laissant de nouveau les habitants et les travailleurs dans l’incertitude et l’instabilité.

Toute l’équipe de Rookie Slash tient à rendre hommage à Alireza, un jeune résident du centre de 19 ans, qui s’est donné la mort le 30 Novembre 2022 après la décision de son renvoi en Grèce par le Tribunal administratif fédéral. Une manifestation aura lieu le 29 Mars prochain en sa mémoire. Alireza on ne t’oublie pas !

Voici un lien pour te renseigner : https://renverse.co/infos-locales/article/manifestation-le-1er-et-le-29-mars-alireza-on-ne-t-oublie-pas-3903

Interview par Oscar Krakover et Solenne Roger